
Si vous avez envie de lire un pavé de 900 pages qui vous emmènent sur des chemins à travers le monde, et en particulier celui du Brésil, à travers plusieurs personnages et plusieurs vies n’hésitez surtout pas ! Vous ne serez pas déçus.
Dans ce livre les récits de différents personnages se mélangent et se juxtaposent à l’histoire d’un certain Athanase Kircher jésuite, grand érudit, chercheur, découvreur et homme d’église ; Eléazard von Wogau journaliste ou plutôt correspondant de presse, qui habite un lieu paumé depuis six ans (à Alcantara ancienne ville baroque du 18e siècle) et a échoué au Brésil et fait de la recherche et critique l’œuvre d’Athanase Kircher. Eléazard, lui, aime Alcantara et les Brésiliens, « tout est possible avec eux, ils ne traînent pas de vieilles casseroles, comme en Europe », cette Europe qui « à force d’éclatements successifs » s’est « volatilisée, au point de ressembler à celle qu’avait ensanglantée la guerre de Trente Ans ». Peut-être même « en pire ».
Son ex-femme Elaine, chercheuse dans une université ; leur fille Moéma qui fait des études d’ethnologie par intermittences à Fortaleza et se drogue plus qu’elle n’étudie et vit des moments de folie ; Mauro, fils de Carlotta, étudiant en géologie auprès d’Elaine, de Dietlev chercheur ; Soledade la femme de ménage et à tout faire d’Eléazard ; Loredana une journaliste italienne qui vient passer quelque temps auprès d’Eléazard, malade du cancer et qui quittera le Brésil. Et la famille Moreira dont la femme, Carlotta, ne supporte plus le mari corrompu jusqu’à la moelle qui sera tué par un pauvre gars Nelson dans un meeting à Fortaleza.
Dans ce livre tout se mélange, tout est imbroglio et vous emmène au milieu de la jungle brésilienne, au sein de sociétés indiennes avec Yurupi par ex, qui retrouve l’homme blanc qui va leur faire traverser l’espace vers l’autre monde.
Il y a les affaires de corruption pour récupérer des terres aux indigènes et aux locaux pour répondre aux besoins des Américains et de leurs envies de plages blanches et d’hôtels paradisiaques même si c’est au détriment des Brésiliens. On a cure des êtres humains qui disparaissent tués sur commande.
On a droit aussi aux états d’âme des différents personnages entre la colère qui régit ceux que l’on spolie ; les états amoureux d’Eléazard avec Soledade et Loredana ; ceux de Moéma qui comme une midinette tombe amoureuse d’hommes qui ne lui correspondent pas ou bien de sa copine Thais ou de son professeur Roetgen. Loredana qui est torturée par sa maladie mais qui ce serait bien laisser aller à aimer Eléazard. Et bien d’autres encore comme Carlotta la femme de Moreira qu’elle déteste.
Et puis surtout la vie d’Athanase Kircher (1602-1680), jésuite allemand qui fascina son époque, inventa la lanterne magique, fut curieux de tout, des mathématiques, de l’hébreu, de la Kabbale, de la Chine, des hiéroglyphes… qu’il échoua à déchiffrer. Inventeur, chercheur, écrivain relatant ses inventions et relatant celles des autres. Cet homme voyage à travers le monde, tombe malade, créé, rencontre des grands de ce monde, côtoie les papes à Rome et les grands monarques de l’époque. C’est une encyclopédie à lui seul, curieux de tout.
Caspar Schott disciple et élève de Kircher qui lui voue une grande admiration et qui sera toujours à son côté à travers sa vie.
Et dans cet imbroglio d’histoire, le fil rouge en est Eléazard qui met la main sur une biographie inédite de ce célèbre jésuite de l’époque baroque et commence à plonger dans les récits ou fables de cet homme.
Tout le récit oscille entre les personnages divergents mis en jeu qui sont mus par des valeurs et ceux qui ont en font fi. Mais au fur et à mesure leurs vies vont converger. D’ailleurs le livre démarre toujours sur les vies de Kircher puis revient vers les différents personnages habitant le Brésil. Il nous tient en haleine par ce biais du récit. Il renvoie aussi à la manière de chacun de voir le temps, l’art, la biographie et celle que nous interprétons. Et puis le rôle de Loredana avec le docteur Euclides – magnifique personnage qui a beaucoup réfléchi sur la question de l’originalité et du plagiat – pour qu’Eléazard découvre que « dès qu’on se mêle de biographie, il faut se résigner au rôle de Sancho Pança ».
Et je finirais par cette phrase tirée du livre « Ce n’est pas l’érudition qui importe, tu le sais bien, dit Loredana à Eléazard, c’est ce qu’elle tend à démontrer. Une simple notice de quelques lignes peut toucher plus juste que huit cents pages consacrées au même individu… »
Ce livre a eu le prix Medicis, le prix du jury Jean Giono et le prix du roman Fnac en 2008 année de sa parution chez Zulma.
Paris le 24 septembre 23.
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