J’ai découvert les pratiques bouddhistes pour la première fois lors de mon voyage d’initiation au Tibet en 2006.
Partir au Tibet était l’accomplissement d’un grand rêve, celui de suivre les pas de mon père et ceux d’Alexandra David Néel. J’atteignais pour la première fois le toit du monde comme le messie attend la délivrance.Le toit du monde n’est pas juste une vue de l’esprit mais des plateaux sans fin, qui s’enchainent les uns sur les autres à plus de 5000 mètres d’altitude. Le tout ponctué des sources des fleuves majeurs qui irriguent tout le continent indien et asiatique : Brahmapoutre, Indus, Mékong, la richesse du monde asiatique et de lacs sacrés comme le Namtso, le Yamdrok.
Après avoir lu les écrits d’Alexandra David Néel dans mon adolescence, cette dernière m’avait initiée au Tibet et donné l’envie de le visiter. J’allais enfin découvrir le monde tibétain tout en sachant que je serais confrontée aux Chinois qui déjà en 2006, à cette époque, envahissaient littéralement le Tibet. Mais j’étais encore suffisamment libre pour déambuler seule dans les rues en particulier à Lhassa ou à Ganden.
Mais ce n’est pas là que j’ai découvert les débats bouddhistes, mais plutôt au monastère de Sera et de Ganden.
Le principe du débat c’est de dépasser la souffrance, l’origine de la souffrance, par la logique que les moines trouvent dans les textes hindous, les sutras, les mantras et les commentaires. La pratique du débat dure en moyenne quatre heures par jour au sein des monastères : deux heures le matin et deux heures le soir.Les moine courent hors du temple et sont tous dans la cour intérieure du monastère. Ils récitent des mantras ; l’un est assis, l’autre debout et fait des exercices. Les moines debout, font des sortes de danses acrobatiques comme s’ils prenaient leur envol ou qu’ils allaient faire la roue, tapent des pieds, crient des moqueries et émettent des claquements de mains. Une jambe en l’air avec un pied en circonflexe, frappant des deux mains, émettant un bruit pour déconcentrer leur collègues moines répondant à leurs questions.
Les débats et jeux sont très sérieux même s’ils ne le paraissent pas au premier abord. Ce sont des jouxtes philosophiques. Tout tourne autour de questions philosophiques ! Le messager de la tradition, défendeur d’une thèse, est assis. Le challengeur, clarificateur du raisonnement, ne défend aucune thèse et se tient debout face à lui pour le déconcentrer et le challenger. Pour débuter le débat, le challengeur se rapproche et s’arrête à quelques pas du défendeur, il fait un léger claquement de main et prononce une formule consacrée « Dhih !». Ce terme fait référence à Manjusri, manifestation de la sagesse dans tous les Bouddhas, représenté par l’épée de l’intelligence et de la vivacité d’esprit de la main droite et le livre de la doctrine dans la main gauche. Le moine challengeur pose une question au défendeur, celui-ci expose sa thèse. Le challengeur peut poser plusieurs questions. C’est l’approbation au moine assis qui permet d’entamer le débat proprement dit. Un moine en interroge un autre et pour le déconcentrer entre dans une danse impressionnante comme dans une transe. Le moine défenseur lui se tient droit, reste stoïque et imperturbable défendant la logique de ses pensées.
Ils sont des centaines à faire la même chose et le spectacle est vraiment d’une grande beauté, bruyant, spectaculaire et d’un charme incroyable. On se croirait dans un monde de derviches tourneurs. Je sais nous ne sommes pas en Turquie, mais cela y ressemble, sans les robes blanches qui sont, elles, rouges et droites (appartenance au Grand Véhicule) !
Tout se déroule autour d’un débat qui se termine par trois claquements de mains qui finalisent la réflexion et le déroulement des idées exposées. Le claquement représente l’union de la sagesse et de la méthode qui permet d’atteindre l’état de Bouddha. Le corps devient alors le moyen pour affronter les enjeux de la philosophie tibétaine. La logique des exposés, le rythme imposé par le moine debout font qu’ils se nourrissent l’un de l’autre, facilitent la pensée de l’un et de l’autre et se créent l’un l’autre. Les dialogues et les mimiques s’entremêlent et rendent factuel la dynamique et la complexité du réel. C’est un sage mélange de l’esprit et du corps ! Les débats mettent en mouvement les idées et développe l’intelligence.
Paul Valéry disait de la danse : « c’est un art déduit de la vie même, une action de l’ensemble du corps humain transposée dans un monde, dans un espace-temps qui n’est plus tout à fait le même que celui de la vie pratique. » (Texte Philosophie de la danse écrit en 1936).
J’ai retrouvé ces plaisirs d’esthète au Bhoutan dans un petit monastère de Karchu dans la région du Bumthang et c’était une délectation grandiose. Je me suis revue projetée dans l’existence de Bouddha et la sérénité des mantras.
2006/2010
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