S’il est un lieu qui me permet de rêver en ce temps de confinement, c’est celui du lagon d’Okarito et surtout de me remémorer la rencontre des eaux de la mer de Tasman et celles du lagon.
Rien de plus impressionnant et de plus remuant que cet endroit.
Choc de deux mondes, choc de deux eaux s’affrontant comme deux chevaux fous ruant et se donnant des coups de sabots.
Un tournoiement qui engloutit tout sur son passage.
Un enroulement violent de deux eaux folles de rage cherchant à frayer son chemin et à anéantir l’autre au prix de vagues ou de queues de comètes !
Une violence immense et un bruit impressionnant.
Un fleuve provenant du lagon, qui se lance à l’attaque de la mer et de ses vagues arrivant en contresens. La force de l’eau du lagon qui coule avec virulence vers cette mer prête à engloutir le monde, les hommes, les branches se trouvant sur son passage. L’eau dévale comme un démon et se rue vers la mer. Vous n’osez pas vous approcher du bord du fleuve de peur d’être happé et de finir dans cette eau glacée. L’effroi vous prend car si un homme tombait à l’eau il serait englouti, avalé et n’aurait pas le temps de dire ouf. Cette vitesse vous prend le regard, vous arrache à votre encrage et vous entraine dans sa démence. Vous êtes engloutis avec elle.
L’affrontement est fort, permanent, dévalant l’un dans l’autre, entrainant une danse folle de ces deux eaux. L’une pousse par les assauts des vagues tournoyantes, l’autre pousse dans un chenal droit, se lançant frontalement l’une dans l’autre, se frottant avec virulence. C’est le choc !
Je suis impressionnée en découvrant ce paysage de grandes plages plates, au sable gris noir, qui ouvre un horizon sans fin. Personne ou peu de monde sur cette plage. Il faut dire que vingt habitants vivent à l’année à Okarito et les touristes ne se pressent pas ici. Tant mieux. Seuls quelques locaux sur leurs chevaux à quatre roues parcourent la plage pour vérifier qu’il n’y a pas des rescapées ou des hommes à l’eau. Ou bien viennent-ils récupérer leurs pêches et leurs cannes à pêche attendant que le poisson morde à l’hameçon ?
Ces plages aussi longues que larges, vous donnent le tournis. Ces plages où la mer est folle. Les vagues vous talonnent et vous renversent par leur force, leur hauteur et le rythme qu’elles mettent à venir frapper le sable, les coquillages, les galets plus haut.
Avalé vous pourriez être, renversé vous pourriez être. Roulé et aspiré dans l’eau pourrait être votre futur.
Ces plages qui sont fermées par un cap à l’est et ouverte au monde à l’ouest. Rien n’arrête vos yeux. L’immensité vous entoure. L’immensité entre en vous. Elle vous fait peur.
Vous distinguez au loin, très loin un autre cap mais avec tant de difficulté qu’il semble être une longue ligne incorporée dans des vagues et se perdant dans les paysages. La plage de sable est large. Une défense de galets parcoure quelque cinq cents mètres avant de vous retrouver cerné par une forêt primaire.
Par temps de tempête il vaut mieux éviter ces lieux dantesques.
Des morceaux de bois charriés par la mer ont échoué ici et vous donnent le ton de la solitude qui entoure cet endroit peu propice à l’homme.
Il n’est même pas question d’entrer dans l’eau ou de nager. Y mettre un pied vous gèle entièrement. Alors oublions, marchons seulement, imprégnons-nous de ce site et de sa sauvagerie.
Le ciel est bleu parsemé de traits de nuages. De grandes trainées ou même de dessins d’ailes blanches étirées qui vous ramènent à l’endroit où vous êtes. Le lagon des hérons blancs ou gris, des cormorans ou des mouettes avec leur cris stridents. Et tout au fond un tsunami de nuages roule vers vous et se mélange au paysage.
Il faut dire que la mer vous saoule, le vent vous abrutit par le souffle fort qu’il émet, qui vous entoure et vous fait tanguer.
Mais cet espace n’est que pour vous, rien qu’à vous – cela rend fou !
Salut
Rien, cette écume, vierge vers
À ne désigner que la coupe;
Telle loin se noie une troupe
De sirènes mainte à l’envers.
Nous naviguons, ô mes divers
Amis, moi déjà sur la poupe
Vous l’avant fastueux qui coupe
Le flot de foudres et d’hivers;
Une ivresse belle m’engage
Sans craindre même son tangage
De porter debout ce salut
Solitude, récif, étoile
À n’importe ce qui valut
Le blanc souci de notre toile.
Stéphane Mallarmé
Avril 2020.
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