Un grand moment dans une vie birmane est le festival du Nat qui se tient près du site de Mingun en face de Mandalay. C’est un hommage aux esprits. Il se déroule pendant une semaine au moment de la pleine lune au mois d‘août.
Bien m’a pris d’être là à ce moment là car cela vaut le détour et surtout l’atmosphère bon enfant qui y règne est un vrai bonheur. Un peu commercial aussi même si le côté spirituel est celui qu’il faut retenir.
Il faut alors traverser le fleuve Irawady très agité entre temps. Le temps est gris et venteux. Il est très large, très haut à cause des inondations et des pluies abondantes. Ce qui ne rend pas la tâche facile. La traversée est très belle car nous croisons de très beaux bateaux : de pêche, des jonques dont les voiles sont gonflées par le vent. Ces jonques voguent sur une eau limoneuse charriant des tonnes de terre marron pour aller pêcher. On aperçoit en face de soi les montagnes qui entourent Mandalay et qui font comme des ombres chinoises en fond de paysage. Nous avons pris le thé sur le bateau tout en regardant les paysages avoisinants.
Plein de bateaux accostent le long des berges proches de Mingun et débarquent des tonnes de poteries pour le festival. Une population nombreuse débarque aussi des bateaux pour aller assister au festival. Les gens apportent avec eux du riz, des poteries, différentes herbes pour pouvoir vivre les quelques jours sur place.
Arrivés sur le bord nous sautons du bateau et gadouillons dans la terre pour rejoindre la terre ferme à travers les champs. On a cherché un chemin pour éviter de s’enfoncer dans les rizières et croyez-moi c’était une vraie sinécure. Mais au bout d’un moment nous avons atteint le quai et avons déambulé dans la rue pour rejoindre le lieu des danses des chamanes. Plus de 500 000 birmans se rendent sur les lieux. C’est noir de monde et on l’impression de se retrouver en Inde ou au Népal.
Une sorte de folie de la rue et des piétons, pèlerins en tout genre se retrouvaient devant des stands pour acheter des paniers en osier après avoir prié et déposé des offrandes. Les gens se ruaient pour faire leurs achats en tout genre et repartaient aussi vite vers leurs bateaux pour rentrer chez eux. C’est un peu le rôle du festival. Faire venir du monde pour faire des emplettes et repartir. Bien sûr en passant par les lieux de prières et de chamanisme. On a ainsi rejoint la pagode.
Tout autour des offrandes étaient déposées : noix de coco, bananes, bambous, fleurs, fruits, fleurs de jasmin… des tonnes et des tonnes. Je me souviens de mon guide qui disait que les moines allaient revendre dans les stands les offrandes déposées sur ce lieu. Une façon de se faire de l’argent !
Et là j’ai pu assister aux médiums entrant en transe.
Les médiums sont souvent des danseurs professionnels : ils rendent hommage aux 37 esprits nats (en sanskrit, « seigneur, protecteur », termes qui qualifiaient le Bouddha), parmi lesquels Shwe Pyin Gyi et Shwe Pyin Nge (les frères musulmans, patrons du village de Taungbyone), Ko Gyi Kyaw (connu pour apprécier tous les plaisirs de la vie y compris les femmes !), Popa Medaw (l’ogresse du Mont Popa), Naga Medaw (la femme serpent), Ko Myo Shin (Seigneur des neuf principautés), etc. Craint et respecté, le medium entre souvent à l’adolescence dans la communauté des « Nat-Kadaw », où il est initié, avant de prendre l’un des esprits pour épouse. A la tête de ce panthéon de 37 nats principaux culmine Indra, Thagya-Min de son nom birman. Ces nats ne sont autres que des héros de légendes fabuleuses, intrinsèquement liés aux dynasties royales, victimes de malmort : nombre d’entre eux furent enterrés vivants dans les fondations des murs des cités de Pagan et de Mandalay. On leur rend hommage pour s’attirer leur bienveillance et favoriser une destinée heureuse lors d’un emménagement, un mariage, un investissement financier. Ces esprits demeurent les maîtres d’un domaine particulier – une maison, un village, une région. Ils imprègnent encore aujourd’hui puissamment l’imaginaire des Birmans et codifient à l’extrême leur quotidien.
Mais revenons à notre festival.
Tout d’abord on dit en Birmanie que les chamans sont des homosexuels ou des travestis que l’on déguise en femme, avec des habits de femmes. Ils portent des longyis sorte de longues jupes serrées à la taille, mettent un turban rose ou blanc autour du front et dansent. Ils boivent de l’alcool et on les asperge d’eau de Cologne. Ils fument et ils dansent, dansent, dansent et entrent en transe. Il y a de quoi entre la musique, l’alcool ingurgité, l’odeur prégnante des parfums et la chaleur. Et puis les gens tassés autour leur glissent des billets le long de la ceinture qui enserre leur taille. La fête de Taungbyon permet aux birmans de communiquer avec l ‘au-delà et ce sont les travestis en génie, des médiums qui sont leur porte-parole. Leur danse est rythmée par gongs tambours et harpe birmane…c’est un super spectacle au cours duquel ils narrent les épisodes d’un Nat. Et puis les femmes âgées ou jeunes rejoignent le groupe et se mettent elles aussi à danser.
Une cacophonie règne à cet endroit entre le bruit des tambours qui martèlent les mouvements, le rythme des danses et la frénésie des danseurs. Les chamanes dans ce lieu tournant, virevoltant, se frappant avec des tiges de feuilles de bambous, finissent par s’écrouler en transe, hurlant et gigotant dans tous les sens. Ils tournent, dansent pirouettent, les yeux fermés (attention à soi il faut s’écarter un peu car ils tombent n’importe où en transe, possédés par l’esprit du nat !!!!!)
Des femmes les entourent et les portent pour les entraîner dans un endroit plus frais où ils puissent retrouver leurs esprits. Des combats de coqs sont organisés, des danses… C’est la fête et la joie qui règne ici. Mais pour les vrais croyants, le festival est plus qu’un simple moment de plaisir et de laisser-aller, il s’agit d’obtenir la protection de Ko Gyi Kyaw.
Et puis je suis emportée par le mouvement et cours après les deux palanquins qui se dirigent vers la plage pour embarquer dans un bateau. Ils emportent la statue de Ko Gyi Kyaw pour la baigner et l’asperger de l’eau du fleuve porte bonheur.
Une course effrénée s’engage à travers les rues du village puis les champs humides. Une frénésie s’empare des différents protagonistes.
Il faut absolument rejoindre le bateau pour les pèlerins, afin de monter dessus, pour aller réaliser les offrandes au fleuve. Le bateau est poussé à plusieurs reprises par des remorqueurs qui doivent s’y reprendre pendant plus de 20 minutes et il s’élance enfin sur l’eau et remonte le fleuve suivi par d’autres jonques.
Mes yeux ne peuvent suivre le bateau. Je reste là sur le bord à regarder s’éloigner la statue.
Mandalay août 2019
Paris février 2019.
Vos photos sont magnifiques!!! 🙂
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Merci beaucoup
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