Un de mes émerveillements en Birmanie fut la découverte de Kakku.
A deux heures en voiture du lac Inlé, en traversant des routes tortueuses, trouées et détrempées, après une nuit de pluie de mousson, nous arrivons fourbus, après avoir longé des champs verdoyants, à Kakku.
Le nom de Kakku sonne drôle à mes oreilles et je me l’imagine comme un fruit exotique, doux et sucré. Et ce fruit exotique se transforme en une myriade de stupas en briques et latérite, de trois ou quatre mètres de haut, supportant des « chapeaux » pointus, ciselés, en fer, petites cloches, qui tintent et ballottent à chaque coup de vent. Cette musique est une berceuse qui agrémente votre visite et vous rend léger. Ling ling ling ling ling ling … est le chant de Kakku ! Et il vous poursuit tout le long de votre promenade. Une impression d’ouverture en vous se fait et une fleur de lotus pousse à la place de votre cœur. L’émerveillement au sens de Bouddha.Pour aller à Kakku, dans l’état Shan, il faut montrer patte blanche et passer par la ville de Tangyi, capitale des Pao, pour se faire enregistrer, payer son « eco » et partir avec un ou deux guides de l’ethnie Pao qui sont sensés vous expliquer l’histoire du site.
Sur un kilomètre carré, des myriades de stupas. Non vous ne rêvez pas, vous avez bien les deux pieds nus sur de la brique chaude et humide. Votre chemin à travers les stupas vous mène vers Bouddha.
Pour commencer un peu d’histoire sur l’origine des Pao. C’est juste magique : un dragon se transforme en jolie jeune femme et rencontre un jeune sage se promenant dans la forêt. Celui-ci tombe amoureux de la jeune femme et ils passent beaucoup de temps ensemble. Mais comme il arrive dans les contes, le dragon reprend ses formes (une sorte de Cendrillon mode birmane !) et il retourne dans la forêt en abandonnant le jeune sage. Elle laisse derrière elle deux œufs qui vont éclore et donner naissance aux premiers Pao. En souvenir de cette légende les Pao s’habillent traditionnellement : l’homme en sage avec son turban et la femme dans un ensemble noir à plusieurs couches représentant les peaux du dragon d’où sort la fumée du dragon ; et une coiffe colorée représentant sa tête.
Et pour rêver encore, la légende de Kakku dit qu’un cochon a découvert un stupa enfouit dans la terre en la fouillant avec son groin. Le roi Shan de l’époque (14e) aurait décidé d’y ériger un stupa lorsqu’il revint de son voyage au Sri Lanka. Toute sa cour fit de même et c’est pourquoi aujourd’hui on peut admirer plus de 2478 stupas sur ce site. Très impressionnant de beautés tant pour les stupas mais aussi pour les figurines finement sculptées.
En fait ce site a été construit au 15e siècle sous la dynastie Konbaung. Mais la plupart des stupas ont été construites au 18/19e siècle ou rénovés. On le voit par la couleur : brique pour les anciens stupas et sorte de béton pour les nouveaux. Mais la plupart date de ce siècle et en 2001 de généreux moines de Singapour offrirent une relique sacrée de la dent de Bouddha venant du Sri Lanka. Ils payèrent la rénovation de plusieurs temples et firent construire des stupas en mémoire de leur don. Beaucoup de thaïlandais font des dons et font construire des stupas à leur nom.
Mais partons à la découverte de ce site si incroyable.
Une grande allée vous mène au site, qui lui-même est sur un monticule et domine la région. Deux stupas blancs se distinguent du reste des stupas de briques rouges. C’est là où se trouve la dent de Bouddha et un Bouddha allongé.
L’impression est forte : arriver dans le monde merveilleux des stupas ! On dirait de multiples petits châteaux pointus avec des doigts crochus qui cherchent à attraper le ciel et atteindre le nirvana tant décrit par les écrits de Bouddha. Tellement c’est touffus on croirait une forêt et on se demande dans quel monde enchanté on entre !Là il faut retirer ses chaussures et marcher pieds nus ! Et plus on approche du centre, plus on est entouré, voire encerclé de stupas, plus ou moins grands. C’est un spectacle grandiose. La base des stupas est en forme de cloche à l’envers avec des motifs très travaillés. Elle est surmontée de plusieurs autres formes comme des coroles de fleurs à l’envers. Pour finir par une sorte de « zébulon » en fer avec des fines clochettes qui résonnent dès que le vent s’engouffre dedans. Et une longue aiguille comme un dard se projette vers le ciel avec une sorte de girouette au milieu et plein de piques. Le « zébulon » est tenu par deux fils de fer accroché, sorte d’hippocampe à l’envers, fixé le long de la dernière corolle en brique. Il y en a tellement que l’on se croirait dans une forêt d’arc voulant lâcher ses flèches vers le ciel et le darder. On dirait de la dentelle ciselée transparente. D’une grande finesse et d’en très grand art. Et cela fait penser à des paratonnerres artistiques. Mais rien à faire il ne peut atteindre le ciel.
Quand on avance, on est subjugué par ce paysage tellement atypique, qu’on a juste envie de se perdre et de se faufiler dans les petites ruelles entre les stupas. Certains jouent à cache-cache, d’autres déambulent de façon très sérieuse et solennelle entre les stupas. On peut y jouer au chat et à la souris mais restons sérieux car c’est un lieu de prières. Certains y recherchent les noms de famille qui pourraient être les leurs ou ceux de leurs ancêtres.
Et puis plus on se fraie un chemin et plus on se sent transporté, surtout lorsque l’on regarde les bases des stupas. Le travail et la finesse est juste magique. Et puis on est entouré d’arbustes plus ou moins grands, de couleurs différentes qui rendent le site encore plus touffus. La couleur de la brique et la couleur verte ou orangée des arbres, renforcent la beauté de ce lieu. Et le clou c’est de voir Kakku se refléter à l’envers dans les lacs autour. Miroir oh mon beau miroir comme Kakku se reflète bien dans l’eau et ces beautés en deviennent irréelles. Et là, la magie opère : les stupas se reflètent et ondulent au gré des mouvements de l’eau. Juste un monde à l’envers qui magnifie sa magnificience et vous fait entrer dans le monde merveilleux de Kakku. On ne sait plus si nous sommes à l’endroit ou à l’envers et si la terre est ronde ou plate. Tout repère s’est effacé et plus rien n’est réel. Tout le flou de la vie se mire et plus rien ne ressemble à rien ! Un autre monde ?
Des lions sont aux quatre coins du site ou même à l’intérieur du site pour empêcher le mauvais œil et les mauvais autrui de rentrer. Ils ont de jolis robes striées et des longs poils peignés aux pattes et la gueule ouverte. Majestueux ! Chaque stupa en sa base comporte une ouverture ovale avec 2 ou 3 yogis assis en tailleur pour garder Bouddha. De chaque côté de la porte ils représentent la femme et l’homme Pao je suppose. Au-dessus de la porte ils protègent le défunt. Ils ont une conche dans la main ou bien un poignard. On pourrait les croire en train de danser. Ils sont finement ciselés, les robes et ses tissus drapés sont plein de finesse. Une fleur de lotus repose sur le haut du crâne. Ils sont parfois portés par une espèce de diable au ventre rond et aux yeux exorbités. Rien qui donne envie de croiser ce monstre le soir. Il est repoussant et effrayant en même temps ! A d’autres endroits on pourrait croire un roi, une reine et sa cour se promenant ou regardant au loin les détails d’un évènement particulier. Ils sont sages et ne montrent pas des scènes érotiques comme à Khajurâho, en Inde. Ou encore une reine Shan ou birmane qui porte sa couronne. La femme girafe, dont le cou enroulé d’un collier spirale, comme l’ethnie Kayan, ne peut mouvoir que de droite et de gauche son cou au risque de le rompre ou tout simplement de s’écrouler. Dans chacune des stupas se trouve un petit ou grand Bouddha pour le repos du défunt. Le Bouddha est assis en position du demi-lotus, la main droite posée sur le genou et l’autre effleurant la terre. C’est la prise de la terre à témoin. Il est souvent très simple mais peut être recouvert d’or et très travaillé. Lui-même peut parfois être revêtu d’un tissu pour le protéger. Et devant des offrandes, laissées par les pèlerins ou bien les membres de la famille venus se recueillir. Parfois on y croise des éléphants, Ganesh à la mode birmane ou singapourienne tout blanc, la trompe retournée pour quel message à distribuer – je ne sais ! Et surtout celui que j’ai photographié et qui évoque pour moi toute la splendeur du Dieu Ganesh hindou qui vous regarde droit dans les yeux. Et là toute l’épopée des riches heures de la Baga-gita ou de Mahabaratha réapparait et m’entraine vers d’autres rives plus éloignées. Comme à chaque fois je peux rester des heures à apprendre de Ganesh et mirer le monde à travers lui. La bonté, le bonheur et rien d’autre. Et puis sur les corolles de base des singes mi-homme mi- roi couronné d’un chapeau pointu, mi- oiseau avec ses ailes, sorte de sphinx au repos, avec des griffes aux pattes avant, sorte de mains agrippés à la terre, font la garde du stupa. C’est gracieux et léger en même temps.De jolies statues à grandes oreilles comme diraient les caldoches agrémentent le site et les grands stupas. En fait ce sont des représentations de divinités en prière, habillées de robes taillées dans la roche avec des fleurs et des feuilles de lotus.
Dans un grand stupa on peut admirer Bouddha allongé atteignant le nirvana entouré de ses 16 disciples.
Mais imaginer ce site, le laisser vous imprégner et darder chaque cellule de votre être serait la meilleure approche pour être en symbiose et se laisser glisser vers le nirvana.
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