Et tout au fond, se jouant des roches, le fleuve coule, travaille la matière. Il remplit de ses limons les terres alentours.
Que ce soit la Nubra, le Shyok ou l’Indus – ils sont larges par endroits lorsque les vallées sont ouvertes ; impétueux, fougueux, tumultueux, bruyants, tourbillonnants, bouillonnants lorsqu’ils sont encaissés dans des gorges comme du côté de Da Hanu. Ils emportent tout sur leur passage, coulent et traversent des contrées toujours renouvelées. Les alluvions forment de grandes avancées sur ces cours d’eau comme des plages de sable blanc gris. Le cours du fleuve est énorme, comme les flancs d’une baleine, pleine de son petit. Il s’assagit avec en son milieu de grandes iles et des poches formant des mers encerclées. On ne sait où commence le fleuve et ses eaux ; où s’arrêtent ce qu’il charrie en alluvions marron, fertiles pour les récoltes. De loin on perçoit les forces qui s’affrontent et forment des vagues et de l’écume. Tout se mélange, s’interpénètre. Les couleurs s’assemblent pour former un tout inamovible qui se meurt en dunes de sable gris, dans la vallée de la Nubra.
Qu’il est bon de s’allonger sur ce sable chaud et de regarder paître les chèvres, marcher et se dodeliner les chameaux de Bactriane. Ou bien de croiser des ânes sauvages noirs ou beiges ; une ânesse venant de mettre bas, apprenant à marcher à son petit, sautant de tous les côtés comme un cabri, pour le mettre en mouvement. Et ce dernier encore tout ébahi de son premier souffle, raide sur ses pattes, la regarde se mouvoir dans tous les sens et se demande quoi faire. Ou les chevaux sauvages, trapus et musclés, aux couleurs bigarrées, noires, blanches, marron, qui trottent dans les plaines formées autour des lacs. Ou bien les marmottes qui se dressent sur leur pattes arrière et forment une danse, valse rapide et sportive, ou un combat de boxe. On ne sait quelle version choisir ! Ou encore les yaks noirs ou albinos crèmes, aux cornes acérées, qui broutent sur les hauteurs des montagnes et viennent se frotter le museau à l’homme, pour savoir à quoi ce bipède ressemble !
Comme il est bon de capter la chaleur du sable, comme une caresse envoûtante, qui enveloppe nos corps, et nous endort, au son du vent, comptine de ces contrées. Notre regard se perd dans le ciel et parmi les orgues formées dans les plis des montagnes environnantes ; ou bien se laisse captiver par un arc en ciel qui se joue du sable, étire et couche ses multiples coloris sur la terre. Seul le souffle des tourbillons de sable fouette nos visages et nous oblige à fermer les yeux dans un sommeil apaisé. On se croirait revenu dans le ventre de notre mère, dans ses eaux profondes attiédies.
Puis sur un piton rocheux, un monastère éveille notre pensée et attire notre regard. On se demande alors, comment les hommes ou les Dieux, ont pu créer des sites si hauts perchés et les rendre si attrayants pour le pèlerin. Il se fond souvent dans la nature et parfois se confond en elle. Est-ce pour se protéger ou se faire oublier de la colère des Dieux vaquant dans ces contrées ?
Surtout en quittant ces lieux chargés de spiritualité et de magie cosmique, il ne faut pas oublier l’obligatoire cairn. Chacun appose sa signature, en mettant une pierre sur l’édifice fragile, qui tient en équilibre et risque de se rompre à tout moment. Une pierre sur une pierre… Puis encore une autre ! Et ainsi de suite sur plusieurs étages, en partant d’une grande, à la base, en allant vers de plus petites qui s’élancent vers le ciel. Et surtout ce fragile équilibre doit résister à la nouvelle pierre, posée ou à venir, et au vent qui souffle dans ces contrées ! C’est mystique, magique, ensorcelant comme les drapeaux de prière. Je peux rester des heures, fascinée, à regarder ces réalisations humaines, qui témoignent du passage d’autres hommes.
On est transporté loin de soi et à nouveau tout se confond en un unique « Om ».
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