Padum n’a rien d’une ville superbe. Elle a une âme tibétaine car les maisons ressemblent à toutes celles de la vallée du Ladakh et du Tibet. Elle est aussi musulmane car on y trouve une mosquée. Elle n’a pas de charme et correspond à la platitude de la vallée. Elle est coupée au cordeau comme dans les villes américaines. Les rues sont petites, on a du mal à passer avec deux voitures de front. Quand le vent s’engouffre il y fait un froid de canard. Quand les eaux de la fonte des neiges s’invitent dans la ville, on patauge dans l’eau et la boue. Rien de magique dans tout cela ! C’est l’autre face du Zanskar !
Je lui préfère Karsha, arrimée à la montagne, qui sait se faire désirer. Il faut traverser le Zanskar sur un pont de fer pour l’atteindre.
Mais en circulant autour de Padum j’ai pu assister à des fêtes religieuses ou de villageois tout à fait par hasard. Je me souviens en allant sur le monastère de Sani, nous avons rencontré un groupe de femmes zanskaries avec leurs magnifiques couvre-chefs, dits perak, sur la tête, recouverts de turquoises bleues, de corail et d’or. Une véritable relique ambulante ! Toute leur richesse !!! Elles accompagnaient un dignitaire religieux qui se rendait sur le monastère de Zongkhul. Les voir sauter du camion et se précipiter dans le monastère de Sani et en faire le tour, était un spectacle à lui seul ! On aurait dit un nid de sauterelles attaquant le monastère !! Leurs compagnons se précipitaient devant l’entrée, se mettaient à jouer de tambours pour recueillir les bénédictions du prêtre. Ils voulaient voir les reliques de Sani, sorties tout spécifiquement pour l’évènement, et se faire bénir. C’était vraiment rocambolesque. Mais tout était drôle et surprenant dans ce lieu : les chèvres marchaient sur les tôles formant les toits du monastère, à deux mètres au-dessus du sol. Je me demandais comment elles arrivaient là ? Mais elles y étaient bien et faisaient la circombulation au même titre que nous les hommes !! Mais en hauteur !!! C’est vrai qu’une chèvre est plus philosophe et intrépide !!! Et moins terre à terre que l’être humain !!! A voir !!! Peut-être, est-ce dû aussi à la particularité de ce monastère, qui est le seul à être construit dans une plaine. D’où la nécessité de prendre de la hauteur !! Ce monastère est un lieu de pèlerinage très important : y repose la statue en bronze de Naropa. Naropa est un Saint indien qui enseignait la tradition bouddhiste Kagyupa. Il est dit qu’il aurait médité à Sani. Il y a d’ailleurs un mémorial dans la deuxième cour intérieure du monastère. Saint qui a traversé toute la région du Cachemire au Ladakh en continuant vers le Mustang et le Tibet à la recherche de son Maître Tipola.
Et la course reprend. Les pèlerins remontent en voiture et reprennent la route pour atteindre le monastère, accroché à la montagne, Zongkhul. Mais avant d’y arriver nous nous sommes arrêtés sur la route pour partager la fête des villageois venus de loin. Les femmes avaient installé, à même le sol, sur une bâche en plastique jaune, des tapis et créé un salon en plein air, avec les tables basses pour prendre le thé. Elles étaient là, assises à même le sol, à papoter, boire le thé au beurre de yak préparé pour l’occasion, manger du yaourt délicieux et frais, du riz ou des galettes, tout en rigolant et s’amusant. Et là elles ont pu en profiter avec l’étrangère, qui tombait juste là, à pic, pour agrémenter la journée. J’ai dégusté le thé et le yaourt offerts. J’en ai perdu ma tasse en voulant la laver, dans la rivière qui coulait à côté. Et c’est un gamin qui l’a récupérée quelques mètres plus loin. J’en étais toute marrie !
Puis l’une d’elle m’a entreprise pour savoir à quoi ressemblait la belle étrangère. Savoir, si cette dernière était pareille à elle, côté physique bien sûr !!! Elle m’a tâté les seins, soupesant leurs poids et formes ; et rebelote pour le ventre et les fesses !!! Sur le moment un peu interloquée, nous avons rigolé et des commentaires ont fusé. Je pouvais les imaginer graveleux et des plus salaces. Elles étaient simples et drôles. Et surtout c’était pour moi l’occasion de les voir dans leur quotidien, leurs costumes et leurs modes de vie. Comme un anthropologue, que je ne suis pas, mais improvisé, qui profitait de ces instants de détente et de vie communautaire. Apprécier aussi les costumes traditionnels : grandes robes de toile de laine grossière, marron-rouge, de yak, serrées à la taille pour souligner leur finesse. Leur chapeau typique du Zanskar, sorte de bonnet raplati sur le haut du crâne, un peu comme un prépuce de sexe masculin. Leur peau de bête pour se tenir chaud que les veilles femmes, portent comme un pull, leur châles à franges mis en travers sur les épaules, agrémentées de leur colliers de turquoise, corail ou de perles blanches, leur collier à prières autour du cou et leur multiples bracelets au poignet. Elles peuvent par moment ressembler à des arbres de Noël, couleur marron !! De longues nattes aux cheveux noirs drus, sortant de dessous le chapeau, ornent leur dos. Elles me font pâlir d’envie. Seules les personnes âgées ont les cheveux gris. Tout cela donne un ensemble assez kitsch mais typique et fort sympathique, qui les protègent du froid et des mauvais esprits ! Le plus drôle c’est que les hommes restent entre hommes et les femmes entre elles. La ségrégation est bien là ! Mais elle se fait naturellement aussi bien entre les vieux et les jeunes. Les enfants sont surveillées par les mères. Ils vaquent à leurs affaires ou bien tètent le sein. Et puis les plus jeunes portent parfois des costumes modernes comme chez nous. Et tout cela se passe dans le respect, la bonne humeur, le partage et la joie.
Après cet arrêt des plus agréables et des plus bucoliques, nous sommes repartis à la poursuite de notre prêtre. Et nous les avons retrouvés sur la route, qui longe la montagne, pour atteindre Zongkhul à flanc de roche. Hélas, l’un des camions était en panne et nous avons embarqué sa population. La route est impressionnante, car en contrebas, il y a une rivière à flanc de coteau. Et dans la roche, accroché, se trouve le monastère. Il est dédié à Naropa qui y aurait médité aussi. Il y a une pièce, tout en haut, qui lui est dédié. Elle est accrochée à même la roche et il y fait très noir. C’est impressionnant car on peut y voir les empreintes de ses pieds. C’est identique à Ensa dans la Nubra. On peut suivre le chemin de médiation de Naropa à travers le Zanskar et le Ladakh. A nouveau nous avons droit à la course aux moines pour écouter les prières. Les hommes jouent du tambour dans la cour extérieure. Tous se sont abrités du soleil et du vent pour prendre collations et repas. Nous déjeunerons à l’extérieur sur un tronc d’arbre et sur la pierre proche d’un point d’eau. Nous profitons du paysage incroyable, sous nos yeux, en contrebas. Un gamin qui déjeunait là, va passer tout son repas, à jouer à cache-cache avec moi. La fraicheur, la fougue de l’enfance et le plaisir de rire. Le vent nous transperçait le corps. Les drapeaux de prière claquaient au vent et volaient dans tous les sens. Après avoir écouté les chants des prières, nous sommes repartis vers la plaine, à la conquête de Karsha.
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