Cap au cap des cèdres du nord


Le lendemain d’autres aventures commencent : cheminement sur le lac pour aller visiter le lieu tenu secret, où vécut six mois, l’écrivain français, Sylvain Tesson. Il fait plus froid et plus gris. Les nuages ont repris possession du lac et enveloppent les  montagnes. La mer est d’acier, froide et le vent nous glace les os. Les cumulus gris et lourds, annonce d’un futur orage, nous poursuivent, rendant la mer verte foncée. « Et le brouillard, cet encens du sol » (S. Tesson) nous entoure. Des mouettes, des eiders et des cormorans décollent en nous entendant arriver. Nous cassons la quiétude des lieux avec le bruit du moteur du bateau. Les nuages sont de plus en plus menaçants. Et la nature devient presque hostile. Puis nous arrivons et arrimons le bateau sur le rivage du cap des cèdres du nord, à 50 kilomètres de Pokoïniki, la station météorologique la plus proche, où trône la maison où Sylvain Tesson séjourna. Maison, ancien abri de géologue, construite dans les années 80, dans une baie très calme, un peu en retrait, cachée par des sapins, des bouleaux et des mélèzes,  avec une vue sur les montagnes environnantes. Cet endroit est encore plus magique car il est entouré de forêts de cèdres avec des toutes petites pommes de pins que l’on prépare en confiture, avec une plage de galets où se tordre les pieds est un euphémisme, où coule une rivière gelée provenant des glaciers plus haut. « Les torrents caracolent jusqu’au lac. Ils font le bruit de la vie qui descend à la fête. Les rivières saluent la forêt. » (S. Tesson) Je me suis bien sûr, trempée les pieds, chaussettes et chaussures comprises ! Ça gelait mais on s’en fout ! La magie du lac fait que froid n’atteint pas la chair. Souvenir, souvenir ! J’y ai trouvé une pierre verte en forme de cœur ! J’adore ces pieds de nez de la nature. Cela m’a fait repenser au lac Roca, en Terre de Feu, au sud extrême de l’Argentine, où j’avais trouvé cette même pierre verte. C’était tout aussi magique qu’ici. Pourquoi cette pierre à cet endroit m’attendant ? Y-a-t-il un message subliminal ? Je ne sais mais j’y repense souvent – des endroits qui m’ont marqué par la beauté et le côté sauvage de la nature. Et toujours des lacs !

« La taïga est une jungle froide. La reine des Elfes apparaitrait avec sa suite, écartant de sa main les rideaux de lichen, j’en serais à peine étonné ! … Les montagnes m’apparaissent plus sévères. Le paysage se révèle intense. Le pays me saute au visage… La solitude est cette conquête qui vous rend jouissance des choses.» Sylvain Tesson (Dans les forêts de Sibérie)

Nous nous sommes installés devant la maison et l’avons visité – histoire de vérifier que tout était en ordre et que personne ou aucun ours n’était venu saccager cet endroit. Nous nous sommes tous recueillis devant une relique qui n’en est pas une et avons bu à la santé de Sylvain Tesson. Vodka oblige ! On a rigolé, bu, chanté et mangé ! Et le soleil a pointé son nez pour nous dire qu’il partageait ce moment particulier, entre deux mers, et tellement fort d’intensité. C’était le jour d’anniversaire de Natacha, chef de la station météorologique, et c’était un moment symbolique pour nous tous. En repartant Natacha a dansé dans le bateau en mettant la musique à tue-tête ! Pour sûr on a fait fuir tout le monde animal !

Je serais bien restée là à mirer le paysage, à bénéficier du calme et du côté paisible du lieu, de la douceur et de la spiritualité de cet endroit. Je me sentais en osmose avec la nature et le lac Baïkal ; en immersion complète, loin du tapage des grandes villes ; synchronisée avec la beauté de la nature. Juste le silence, moi et  la nature. Le lac Baïkal dans toute son authenticité ! Juste un moment entre deux croches, comme en musique, en harmonie et symbiose avec ce monde – un moment pour soi où tout s’arrête, où tout est musique intérieure et oubli de tout.

« Il est bon de savoir que dans une forêt du monde, là-bas, il est une cabane où quelque chose est possible, situé pas trop loin du bonheur de vivre. »

« Le froid, le silence et la solitude sont des états qui se négocieront demain plus chers que l’or. … Vivre dans les futaies au bord de la plus grande réserve d’eau douce du monde est un luxe » Sylvain Tesson. (Dans les forêts de Sibérie)

Quitter cet endroit intense en émotions et en tout ce qui n’est pas palpable m’a fait littéralement m’arracher à cette terre. Un désencrage infini ! Le froid et le vent ont fait couler les larmes. Ces dernières exprimaient le chagrin de quitter un lieu où je ne suis pas sûre de retourner de sitôt. La chienne qui était avec nous a posé sa tête et ses pattes sur mes genoux pour calmer cette tristesse. Je lui sais gré de ce moment partagé ensemble. Et la mer nous a offert un spectacle grandiose entre le bleu profond de l’eau, les nuages faisant un tableau digne des grands maîtres – La Colombe de Matisse –  et les reflets de l’eau. Juste en regardant ce paysage on peut tout imaginer et je vous laisse rêver à ces grandes étendues où l’on ne sait plus où l’on est. La mer, le ciel et l’horizon. Tout se mélange et devient un !

« L’esprit du lieu : le pouvoir apaisant et rédempteur sur les âmes, accès direct sur nos émotions. » écrivait Valentin Raspoutine  (Baïkal). Comme il avait raison et comme je le comprends. L’émotion est une intrusion en soi, violente, remuante et douce. Je ne l’oublierais pas.

 

Catégories :Europe, Non classé, RussieTags:, , , , , , , , , ,

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