Il faut être une bande de fous pour vivre à l’année dans cet endroit. Fous pour nous parisiens ! Mais pour eux ces météorologues c’est le top du top ! On devient ermite sur le lac Baïkal ! On devient amoureux du lac Baïkal et on se languit de cette mer.
Comme le disait Sylvain Tesson : « Recette du bonheur : une fenêtre sur Baïkal, une table devant la fenêtre »
Que ce soit à Ozouri sur l’ile d’Olkhon, ou bien à la base de Solnichnaia, en face des iles Ouchkany, on se croit au bout du monde devant un paysage du Baïkal. Une vue imprenable, étonnante, époustouflante, espace libre à perte de vue et un monde à soi, en soi et pour soi.
Un peu comme ce film « Into the wild » au fin fond de l’Alaska – seul avec la nature comme amie ou ennemie selon les moments. Mais tellement grandiose et grandiloquent. Un monde sauvage, préservé, enivrant et qui laisse pantois.
Rien pour vous déranger et rien pour vous lasser si vous aimez ces grands espaces. Ces eaux miroitantes qui changent de couleurs au fil du jour, de la luminosité du soleil et de l’eau du lac. Des jours à regarder le ciel bleu, rose, vert changeant mille fois par jour ; l’eau grise, bleu foncée, verte ; agitée ou pas, démone soulevant les bateaux comme des fétus de paille ! Demandez aux habitants et aux pécheurs ils vous raconteront comment la « mer ou mère » comme l’appellent les habitants du Baïkal se déchaine et fait virer leurs visages au gris ! Et comme cela devient le pire cauchemar à vivre avant de périr.
Et puis, le matin, au levé du jour, elle peut être recouverte d’un touman, brouillard blanc épais, qui selon la chaleur de l’eau et de l’air, ne permet plus de voir les iles Ouchkany ou bien l’autre côte du lac – Bargouzine. On dirait une longue barre mousseuse qui bouche la vue alors que le monde baïkalien est encore rose du matin.
Comme dit Iouri : « Cela n’a pas de sens d’aller chercher quelque chose de meilleur ailleurs. Ici, c’est le point final, on ne bouge plus. »
Tous les gens du coin vous le diront et je serais la première à vous le confirmer.
« Le Baïkal, c’est la nature, l’air pur, les espaces vastes à l’infini, la visibilité à 100 kms, la tranquillité, la paix…. Le lac est devenu notre patrie…. Le lac Baïkal vous attire et vous aspire. »
Le lac est un mirage entre terre et ciel – seul le chamane peut vous parler et vous inviter à le comprendre.
Il faut accepter la solitude, le froid, la chaleur, les moustiques et vivre en autarcie avec plusieurs compatriotes des journées entières à faire des recherches, suivre les bateaux, vérifier qu’il n’y a pas de contrebande dans les parages, boire et se saouler, honorer et remercier le Baïkal en l’aspergeant de vodka aux quatre points cardinaux…… Mais surtout ce qui subjugue c’est l’ouverture vers le lac et sa beauté à toutes les heures de la journée et de l’année.
Que font ces hommes au milieu de nulle part, coupé du monde… Eh bien ils travaillent et doivent noter toutes les trois heures les températures de l’air et du sol, la force du vent, le taux d’humidité. Ils communiquent tout cela par radio à Irkoutsk. Absurde vous me direz ! Mais non, à l’époque, Staline avait installé sur tout le territoire soviétique des postes météo pour des recherches scientifiques et surveiller le territoire.
Ou bien ils font des recherches sur les plantes du lac et des montagnes avoisinantes ; regardent, photographient et comptent les ours et les animaux sauvages qui traversent leur champs visuel ; regardent les chevaux sauvages passer, s’ébrouer et s’ébattre, paître dans les prés ; pèchent des poissons les fameux omouls pour les faire fumer et les déguster en hiver ; ou bien parcourent le lac et visitent leurs collègues pour papoter. Ou tout simplement profite de la vue en caressant le chien de garde qui est leur meilleur salut et ami dans cette nature hostile.
Et puis comme tout bon russe, il y a la cueillette des champignons en été, des baies sauvages transformées en confiture pour accompagner le thé, du thym pour faire des tisanes…. Les fleurs sauvages pour les jolis bouquets …. La nature redevient la plus belle amie des habitants du Baïkal. Elle accompagne les jours et les nuits et devient la compagne des balades à pied. C’est le règne de la nature dans toute sa splendeur entre les caprices d’hiver et son manteau neigeux, la période de fonte des glaces, dégel à grande échelle, le craquement de la glace recouvrant le lac et puis la période d’été propice à la vie extérieure, au ravitaillement et aux courses de bateaux.
Et puis tout autour des maisons en rondins de bois qui protègent du froid, ils cultivent des potagers : des légumes pour survivre l’hiver grâce aux conserves ; ils ont des poules pour les œufs, des chèvres pour le lait et le fromage…. J’en ai même vu une qui dormait sur un matelas avant de mettre bas ! Non je n’ai pas fumé ni bu à ne plus savoir qui je suis ni savoir ce que je vois !
Ils boivent aussi ! Car dans des conditions si rudes pour tenir ici il faut boire et s’amuser avec ces collègues. Et c’est du dur… de la vodka ou du samogon (95° spirit pur) qu’ils préparent eux-mêmes. Des tords boyaux qui vous chauffent l’estomac et la tête ! Mais il faut cela pour éprouver la joie des russes et leur manière de fêter tout et rien – rien que pour boire ! Et supporter le lac. Et puis l’alcool délit les langues et vous permet de percer l’âme russe et d’en savoir ou trop ou pas assez ! On chante, on danse, on crie, on rigole et on pleure souvent. Le russe a l’âme sensible…..
La vie est compliquée dans ces contrées car l’eau courante n’existe pas partout, il faut aller la puiser dans le lac. Et quand il est glacé, il faut percer la glace et faire chauffer l’eau.
Les toilettes sont éloignés des maisons ; Il faut courir jusque dans les toilettes (qu’il neige, qu’il vente, qu’il pleuve ou qu’il gèle à pierre fendre !) ou bien se soulager dans le pot de chambre au chaud ; le bania aussi est à l’extérieur des maisons mais là c’est le seul coin où il fait plus de 40° été comme hiver ! Avec l’alcool on est sûr de survivre et de se réchauffer !
Et puis ici il faut rompre et fendre le bois pour chauffer les isbas et rallumer le matin le poêle alors qu’il fait froid à pierre gèle. Vous me direz ça réchauffe de couper du bois…mais encore faut-il en avoir ! Et puis il en faut pour le bania car sans bois pas de poêle qui fume avec l’eau froide répandue dessus. Le bonheur pour un russe de se laver et de fouetter son dos avec des branches et des feuilles de boulot pour évacuer toutes les toxines et après de se jeter soit dans la neige soit dans le lac froid. Cela s’appelle contraste ! Il faut un cœur solide et être né par là.
Les russes disent que « l’hiver ici dure douze mois, après c’est l’été » ! Il y fait froid mais il peut aussi l’été, y faire très chaud et là on dit que « c’est le royaume du soleil » ! Mais je dirais que tout est relatif !
Et les vents sont glacials. Ils proviennent de la taïga et du fond de cette dernière et se ruent entre les montagnes pour se jeter sur le lac. Ils vous gèlent les os comme l’eau du Baïkal ! Cette eau monte en température en été jusqu’à 8 °. J’ai testé : les deux pieds dans l’eau avec les chaussures et je peux vous dire qu’on en sort très vite tellement il fait froid. On courrait sur l’eau tellement on est surpris. Mais l’air est pur et transparent. On le sent glisser dans ses bronches ! C’est incroyable.
Et puis les cieux, eux sont impressionnants – ils changent de couleur, des nuages plus ou moins blancs, gris passent ou bien tonnent et vous déversent des seaux d’eau glacée ! La lumière changeante devient rosée, mauve ou bien noire de chez noire avant que l’orage n’éclate et ne s’affale littéralement sur soi. C’est un jeu de minutes en minutes ; Le soleil peut aussi rayonner et disparaitre pour laisser place à la pluie. Et puis tout à coup l’arc en ciel fait des siennes, se dédouble ou triple. Il survole les baies pour les toucher de ses arcs lumineux et miraculeux. Un miracle, un jour de joie, un rayon de bonheur après la pluie. Ou bien le clair-obscur bleuâtre des couchers de soleil arrime le lac à la nuit. Comme disait Verlaine cette lumière comme une femme aimante « n’est, chaque fois, ni tout à fait la même, ni tout à fait une autre ». Mais le jeu des nuages dans le ciel est une pure merveille et vaut le détour avec les montagnes alentour. Et le reflet dans les eaux de la mer – c’est captivant !
Et puis le plus doux des souvenirs – les vagues douces déferlant sur la baie de Solnichnaïa qui comme une berceuse vous endort ou rythme votre sieste. On se sent calme et serein. La mer ondule sous l’isba au bord du lac et vous sentez ces vagues vous envahir et vous rasséréner. Une harmonie de musique qui frappe les galets et le ressac des vagues vous soulage et vous assoupi. Rien de plus tendre que ce flot calme et pénétrant l’âme.
Vous vous sentez proches des Chamanes qui dans leurs danses chantent les esprits (doukh en russe) et discutent avec le ciel – esprit qui relie ces deux mondes.
Eh bien vous voilà entre ces deux mondes dans un lieu de sagesse, de violence et de douceur qui incite à rêvasser et oublier.
A mes amis du Baïkal !
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