Bonjour Irkoutsk, première ville où je pénètre dans la Sibérie profonde russe.
Que de rêves de gosse après avoir lu Michel Strogoff et puis un peu plus tard le Docteur Jivago. Irkoutsk résonne dans mon esprit depuis mes jeunes années. Ces rêves sont restés inassouvies pendant les années passées en Russie.
Et me voilà enfin devant l’Angara fleuve impressionnant dont les quais sont bordés de cœurs d’amoureux les uns plus gros que les autres et de cadenas représentant l’amour de deux êtres venant de célébrer leur mariage. C’est devenu universel !
Mais ce qui m’a le plus frappé et marqué à Irkoustk ce sont :
– la ville construite par révolutionnaires russes, les décembristes et leurs femmes exilées appelée le « Paris de la Sibérie »
Un peu d’histoire, la ville a été construite en 1661 par les Cosaques.
Puis les décembristes, révolutionnaires russes issus de la noblesse, qui, le 14 décembre 1825, avaient mené à Saint-Pétersbourg une insurrection contre l’autocratie tsariste et le servage. La répression fut cruelle. La Cours Suprême a rendu une sentence de mort à 5 des insurgés. 121 autres ont été condamnés à la déportation et aux travaux forcés. Ils ont été envoyés par le Tsar Nicolas II pour avoir osé se révolter contre le pouvoir tsariste. Cette ville a été presque entièrement fondée par les familles de décembristes qui se sont exilées ici. La première partie des condamnés est arrivée à Irkoutsk à la fin du mois d’août 1826 : E. P. Obolenski, A. I. Iakoubovitch, A. Z. Mouraviev, V. P. Davidov, S. P. Troubetskoï, S. G. Volkonski, les frères Borissov et bien d’autres. Une ordonnance du Tsar a indiqué de placer les condamnés dans les mines du bagne de Nerchinsk. Les Décembristes sont déportés d’Irkoutsk vers l’autre côté du Baïkal.
Les maisons ont été construites en bois, peintes de gris, de vert ou de marron/jaune. Et surtout les décorations en dentelles sont réellement extraordinaires. La plupart de leurs maisons en bois sont ornées de décorations réalisées à la main. Les décembristes ont recréé une ville culturelle et se sont voués à l’agriculture. Ils avaient interdiction de quitter la ville ou la région. Aujourd’hui ces maisons sont devenues des musées à leur mémoire.
Irkoutsk n’a pas tardé à devenir une plaque tournante de la vie sociale et intellectuelle pour les exilés. Ils ont influencé le patrimoine culturel de la ville d’une manière importante. De nombreux exilés se sont beaucoup attachés à Irkoutsk.
Les autres personnes célèbres qui ont vécu dans Irkoutsk sont VA Bechasnov, AP Yushnevsky, NA Panov, AZ Muraviev, IV Podzhio et la femme de Troubetskoï. Les descendants de cette dernière sont restés dans cette ville pour toujours. Le fameux AP Schapov, démocrate et historien, a été exilé dans la ville et y a vécu jusqu’à sa mort. Des révolutionnaires et rebelles polonais y vivaient également. À la fin du 19e siècle, presque tous les habitants d’Irkoutsk étaient des exilés.
En 1876 la ville a entièrement brûlé et a été reconstruite. Le 16 août 1895, Irkoutsk assiste à l’arrivée de son premier train. Cet évènement est considéré comme le plus important du 19e siècle dans la ville. La construction de la ligne principale de la Grande Sibérie a largement contribué au développement de la cité.
Un des chefs d’œuvre est la maison musée de Volkonski un des premiers décembristes à être exilé à Irkoutsk. Elle retrace toute l’histoire de cette famille et montre la part importante du rôle des femmes qui ont rejoint leur mari en abandonnant leurs enfants à leurs familles à Saint-Pétersbourg pour rejoindre l’être aimé. Ici, de 1844 à 1856, Sergei Grigorievitch a vécu avec sa femme Maria Nikolaevna, chantée par Pouchkine et Nekrassov, et avec leurs enfants Micha et Nikolenka. Autrefois, la maison était entourée d’un jardin splendide. Son maître était un grand amateur et connaisseur du jardinage. Il était devenu le jardinier en chef de son propre jardin ! Cette maison a tenu des salons littéraires, des spectacles, des concerts et des soirées dansantes où venait toute la haute société. La princesse Volkonskaya y était l’âme de la société.
Non loin de la maison de Volkonski, il y a un autre ancien hôtel. Serguei Petrovitch Troubetskoï, le colonel du régiment Preobrajenski, un membre notable de l’Association Septentrionale des Décembristes, y a habité. Troubetskoï a été condamné à la peine capitale, qui a été commuée par la déportation en Sibérie et des travaux forcés. La princesse Ekatérina Troubetskaïa (1800-1854), femme de Sergueï Troubetskoï, a écrit des autres femmes des Décembristes : « Elles sont la gloire et la beauté. Heureux les hommes qu’elles ont aimés ! Abnégation, courage et tendresse, que leurs noms soient immortels ! » Cet impossible voyage de plus de 5 000 km représentait une aventure incroyable. Devenues femmes de bagnards, elles perdaient leurs privilèges nobiliaires; leurs droits de se déplacer, de correspondre, de disposer de leurs biens. Selon « l’acte de renoncement » qu’elles devaient signer, elles n’étaient autorisées à voir leur mari que deux fois par semaine et en présence d’un officier; elles avaient dû abandonner leur argent et leurs bijoux;. Elles perdaient tout et les enfants étaient déchus de leurs titres de noblesse.
Au cimetière du monastère de la Vierge-de-l’Incarnation vous verrez toujours des fleurs sur la tombe de Ekatérina Troubetskaïa et de ses deux enfants.
Après la révolution Irkoutsk fut le théâtre de violents affrontements entre les russes blancs et les rouges.
Pour la petite histoire, Noureev y est né.
– les maisons en bois aux volets peints qui s’enfoncent dans le sol
Beaucoup de maisons sur la rue Engels sont des maisons en bois. Elles sont hélas aujourd’hui en mauvais état et beaucoup s’enfoncent dans le sol. Un lieu magnifique est le musée où à l’air libre ont été reconstitués des maisons et les décors qui les composent un endroit incroyablement riche. On y retrouve la maison de Serapilov transformée en café ; celle Shastin qui est devenue un bâtiment administratif ; celle de Grimbert, Larin et de Polkanov, hôtel ou musée de la vie de la ville. Ce lieu est un miracle tant la restauration faite a rendu son âme aux bâtiments. Et puis lorsque l’on marche sur rue Engels on trouve d’autres maisons restaurées ou pas. Elle montre la richesse culturelle de cette ville. Les fenêtrés sont décorées intérieurement par les habitants de fleurs ou parfois d’un samovar. Un très bel endroit où flâner.
– Et puis il y a le marché qui regorge de victuailles dont je vous ferais apprécier la richesse. Tout est fait localement entre les poissons, omouls ou les saumons séchés ou fumés ; les pommes de pin que l’on transforme avec du miel, les champignons, le pain…. Un vrai régal et un endroit où il faut s’arrêter.
– Et le top du top ce sont les danseurs devant l’Angara qui organisent un thé dansant à la mode soviétique. Au son d’un orchestre improvisé de trombones nos amis les russes, en couple ou entre femmes, fox trottent ou bien swinguent. Ils sont les plus heureux du monde et en oublient les spectateurs que nous sommes au pied de la statue d’Alexandre III qui surveille le voisinage du haut de ses cinq mètres ! J’ai l’impression de revenir vingt ans en arrière, à Moscou, où le jour de l’an, je dansais avec des amis et des inconnus, sur la glace, buvant une gorgée de vodka aux piments pour éviter de geler sur place, par moins 40 !
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