Le chant du prophète de Paul Lynch


Dans le contexte actuel géostratégique et du populisme montant dans nos sociétés actuelles, ce livre tombe à pic.

En cette période d’investiture du nouveau président américain, terminer ce livre me fait l’effet d’un signal de vigilance.

Il décrit à Dublin, en Irlande, la montée du fascisme qui petit à petit s’infiltre dans la société et grimpe en rampant et en s’incrustant dans la vie quotidienne des habitants et narre dans les moindres détails le processus de cette descente aux enfers du totalitarisme, en décortiquant le mécanisme de ce basculement progressif pour montrer jusqu’où il peut aller.

Le plus impressionnant dans ce livre c’est la montée crescendo de la peur qui tétanise toute la population au fur à mesure du temps.

Et cela commence comme en Russie par des coups à la porte et des officiers qui viennent questionner et vouloir arrêter son mari, syndicaliste. Ce dernier de bonne foi se présente à la police nouvellement nommée GNSB et il disparait. D’attente en espoir et de rebuffades en rebuffades elle en perd la notion du temps et la frayeur gagne le monde.

La liberté est rognée de plus en plus, la police quadrille la ville et amplifie ses contrôles sur la population.

L’état d’urgence est décrété.

L’écrivain se place du point de vue d’une mère de famille qui subit tout ce qui lui arrive, déplaçant le roman de tout discours militant ou moralisateur pour le centrer sur la vie concrète et quotidienne d’une femme ayant des enfants et un père vieillissant à s’occuper, et dont le mari, syndicaliste, a été enlevé par le gouvernement. Tout entrave et rend difficile sa vie.

Elle est seule dans cette vie devenue combat infernal. Ce regard d’une femme, d’une mère, qui lutte pour la survie de ses proches, nous renvoie à notre propre aveuglement.

Et rien ne lui fait comprendre que tout se referme. Elle ferme les yeux à chaque montée du fascisme, des camps d’internement, des disparitions et des assassinats. Seul son père voit ce qui se passe. Sa sœur qui habite au Canada lui propose de quitter son pays mais elle ne le fait pas. Son père lui va quitter le navire. Elle va attendre la dernière minute après que son premier fils fasse partie des révoltés, avoir perdu son deuxième fils tué alors qu’il devait être opéré – elle le retrouvera à la morgue, cabossé et torturé- et elle comprendra qu’il faut fuir ce monde. Juste par instinct de survie pour sa fille.

Paul Lynch a réussi précisément à véritablement m’angoisser, à m’oppresser, comme si je vivais par procuration cette descente en enfer. C’est un tour de force qui me stupéfie maintenant le livre terminé et refermé. On sent en soi monter la peur, peur qui vous glace et vous empêche de bouger, tétanisée.

Paul Lynch révèle l’avoir écrit pendant le confinement, en s’inspirant aussi de la crise en Syrie et des flux migratoires.

Un excellent roman d’anticipation crédible, sublimé par son intelligence formelle et récompensé par le prix Booker Prize 2023.

A lire absolument pour comprendre ce qui nous attend dans les années à venir en Europe et apprécier ce qui se passe aux Etats-Unis avec Trump – sidération d’une société !

Paris le 14 avril 25.

Catégories :Europe, FranceTags:, , , , , , , , ,

Laisser un commentaire