Le dernier livre d’Andreï Makine : « Prisonnier du rêve écarlate ».


Ce livre est terriblement bien ficelé et je l’ai terminé en 3 jours ! Il vous happe et je n’ai pu m’en détacher.

Comme toujours Makine nous emporte dans l’histoire de l’Union Soviétique, de la Russie et de la France !

Juste avant la Grande Guerre comme disent les Russes, un groupe de jeunes communistes français partent en voyage en Russie pour y découvrir le monde merveilleux (pas des bisounours) du monde communiste stalinien !

Lucien Baert est de ce voyage et tout l’émerveille mais il a ce côté curieux, un peu fouineur pour toujours aller regarder derrière le décor et voir que ce dernier cache des choses qui ressemblent à sa vie de métallo dans le nord de la France. Le rêve stalinien, communiste n’est pas aussi rose et magnifique que l’on veut bien le montrer.

Mais tout à coup l’Union soviétique se rapproche d’Hitler et signe le pacte germano-soviétique et là tout commence à dérailler pour lui. Il loupe le train qui faisait voyager ce troupeau de touristes communistes français ; il se retrouve au KGB place Dzerjinski à Moscou où il subit un interrogatoire plus que musclé ; puis sur les conseils d’un russe il se fait passer pour un chercheur d’or et fini au goulag dans le grand nord, dans l’Oural. Il devient le prisonnier du rêve écarlate !

Lucien décrit le monde de la cruauté, des tortures, de la faim, du travail dans des conditions épouvantables, du goulag mais aussi de la seconde guerre mondiale. Car pour les prisonniers de droits communs ou politiques la diminution de sa peine rime avec aller jouer la chair à canon entre les Allemands Nazis et les Russes qui se battent. Dans cette barbarie deux hommes vont l’aider à survivre ainsi que sa bonne étoile. Altaï le gars provenant d’Asie centrale qui sera tué et Matveï Belov qui a diminué de beaucoup sa peine et lui offre en cas de mort son passeport, son identité et sa porte de sortie du goulag. Un mois de guerre correspond à une baisse de peine d’un an ! Cela ressemble beaucoup à ce qui se passe pour les prisonniers politiques ou de droit commun qui vont guerroyer en Ukraine en ce moment.

Lucien va vivre dans deux histoires : la sienne celui d’un Français qui s’est trompé de route et celui de Matveï, un Russe, qui lui a donné sa vie et qui lui permet de sortir du goulag plus tôt.

Il rencontrera à sa sortie une femme recluse dans un endroit de Sibérie, perdu proche du village de Pinéga, gardienne d’un camion M13 et de canons. Il connaitra l’amour avec Daria après avoir tué deux hommes violents qui s’en prenaient à elle. Il se reconstruira grâce à elle et au silence des lieux qui n’ont pas de mémoire ni d’histoire. Il parlera de la France avec une certaine envie de revenir dans son pays et lui apprendra le français à travers ses récits. Mais quitter l’URSS n’est pas si simple car pas de papier, pas de passeport – un homme oublié et qui a passé plus de trente ans en URSS.

Ils finiront tous les deux par monter un stratagème pour aller à Léningrad (car Daria est de Léningrad et elle rêve d’y retourner vivre) pour trouver un étranger pour pouvoir aider Lucien/MatveÏ à rentrer chez lui. Et de fil en aiguilles il se cachera sur un bateau qui part pour Le Havre, grâce à la complicité de matelots. En 1967 il débarque en France et se retrouve cornaqué par une femme journaliste qui va faire de lui une sorte de vedette, de marionnette du communisme et des tortures staliniennes. Il découvre un monde qui n’est plus celui qu’il connaissait et surtout un monde « d’estomacs heureux ». J’ai trouvé cette expression terrible mais tellement réelle et réaliste.

A cela s’ajoute Mai 68, des gens qui baisent, font la révolution intellectuelle et Lucien se perd dans cette société et ses méandres de bourgeois. Il joue le jeu mais à nouveau son double Matveï revient et il est tiraillé entre sa vie actuelle à Paris et celle de Pinéga la vraie vie.

Il passe sept ans en France et à voyager puis finit dans un hôpital psychiatrique car il a déjanté !

Avec des amis qui comprennent sa douleur, son tiraillement entre cette vie actuelle et celle de son passé, de son double, l’URSS – on lui propose de s’échapper de l’hôpital et de partir à nouveau dans un voyage pour retrouver la Russie.

Il quitte ses collègues voyageurs et le voilà reparti à la recherche de Daria à Pinéga. Il la retrouve et renoue avec la vie russe et tous ses changements. Car nous sommes au moment de la Perestroïka, de la déliquescence de Eltsine et de la montée des oligarques et des mafieux.

Il vit avec Daria et leur complicité se fait à nouveau. Elle est devenue infirmière et aide les gens des différents villages à être soignés et surtout à survivre.

Et dans ce village au fin fond de la Sibérie il retrouve cette fraternité, cette entraide sans hypocrisie ni attente, qui lui a tant manqué et qui est le fil rouge de sa vie à travers tous les tourments, les tortures vécues.

Cet endroit est magique entre une nature blanche, vierge avec son lac et sa forêt jusqu’au jour où un grand russe de ce nouveau monde vient construire une grande maison. Et là la folie de la russie post soviétique apparait dans toute sa monstruosité. L’argent devient le pouvoir. Tout déraille : mafia, prostituée, viols, menaces, tueries…. Et là Lucien reprend son épée de chevalier et sa foi pour défendre ce bout de terre et Daria qui est pour lui sa vie et sa foi en l’humain.

Tout seul il décide de prendre le camion M13 qui se trouvait à Tourok dans le site de protection et de garde du monde d’avant. Il arme le M13 et tire des canons sur les maisons des oligarques et détruit tout. Mais pour mourir lui aussi car les gardiens le descendent et lui leur fait exploser la cervelle en faisant exploser le camion. Réminiscence de la guerre ! Le tout pour le tout pour sauver cet espace calme et humain.

Dans ce livre on voit toute l’ambivalence de la décadence de nos vies et de notre monde occidental mais aussi toute la cruauté de la vie en Union soviétique et en Russie après la Perestroïka. Perte de repères dans ces deux mondes où la folie se joue de tout, où barbarie et hypocrisie se mélangent. Mais l’amour reste la grande affaire qui fait tourner le monde des Hommes.

Un demi-siècle de vies, d’histoire du monde – monde soviétique et monde occidental où des destins d’hommes et de femmes se croisent, se brisent, se délitent et se recroisent pour le meilleur et le pire.

Courez lire ce livre, je vous le conseille vivement !

Paris le 13 janvier 25

Catégories :Europe, RussieTags:, , , , , , , , , , , , , , , , , ,

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