
Deux images sur le recto du livre font penser à la généalogie : la première l’arbre qui représente les éditions – cet olivier qui se couche sous le poids de ses branches et des histoires de famille ; et la photo vieillie de Jean-Karl ou Charles Gaudy, le père d’Hélène sur le pédalo, enfant avec sa propre mère.
Cette dernière nous lance sur le chemin des histoires de sa famille mais d’une manière différente puisqu’elle désire trouver ce père qu’elle a côtoyé pendant des années et qu’elle semble ne pas connaitre.
Le livre démarre par une évocation de l’ile aux confins de la Louisiane qui porte le prénom de son père. Comme chaque jour cette ile s’enfonce un peu plus tous les jours. Et cette ile la porte vers son père. Ce père qui est un homme tranquille, plongé dans sa mémoire et qui parle peu.
On remonte alors dans l’histoire du père à travers les grands-parents de Jean-Charles dit Jean-Karl à sa naissance et le monde de la seconde guerre mondiale avec des parents résistants qui risquent leurs vies et qui se trouveront dépourvus à la fin de la guerre dans un monde qui ne leur sied pas.
Tout d’abord j’ai découvert son prénom et son début de vie pendant la deuxième guerre mondiale. Je peux comprendre la dichotomie de sa vie, tiraillée entre le marxisme et la vraie vie ; entre l’idéalisme, le sentimental et le poète qu’il est.
Elle retrace avec son regard et celui du père et parfois de la mère Michelle cette vie d’avant sa naissance faite de voyages à travers des contrées où l’on ne se risquait pas, sac à dos et fleurs au fusil si je puis dire.
Je découvre qu’il avait vécu en Algérie et qu’il avait voyagé au Moyen Orient.
Il faut savoir que nous avons des années en commun puisque j’ai connu ses parents à travers les miens pendant mon enfance et que nous nous sommes revus à plusieurs reprises lors des parutions de livres d’Hélène et après la mort de mon père. Hélène évoque mon père dans son livre sur le schématisme.
Mais revenons à la découverte de son père à travers ses livres qui croulent sous les murs de leur appartement mais aussi du studio qu’il a acquis et qui est devenu son monde secret où il se perd dans les objets. Ou son monde est arrangé au gré des objets trouvés, empilés avec un art précis, des tableaux peints et tant de choses qui encombrent le passage et l’esprit.
Car ce père est un collectionneur compulsif des vies des autres, des curiosités qu’il a pu trouver et ramasser pour les accumuler dans ce studio où il ne va plus guère et dont il donne la clef comme une transmission, un cadeau qu’il partage avec l’auteur.
Pour revenir au livre, j’ai adoré le jeu « caméra aller-retour » entre le passé, le présent et votre regard sur votre père. Sa gêne aussi quand vous lui posez des questions et son effacement. Le regard et la gêne aussi sur le studio avec les objets et le fait de « violer » cette intimité, ce lieu de votre père. Et ce qui vous incombera à termes de ses objets, livres … à devoir un jour trier et se séparer. Nous passons tous par ces phases quand ces derniers nous quittent définitivement. J’ai aussi découvert votre relation avec lui que je ne connaissais pas et avec vos grands-parents. Et votre besoin de « retisser » ce lien et d’être seule avec lui.
J’aime aussi la manière dont vous faites apparaître votre mère par petites touches et en filigrane.
J’ai été très étonnée que vous mentionniez mon père et le travail commun sur les plans de Paris ainsi que le lettrisme et le schématisme où ils ont œuvré tous les deux. Je ne m’y attendais pas et je me suis sentie presque gênée par cette apparition !
En tout cas en vous lisant j’ai eu une période de ma vie qui est remontée d’un coup au bord de mes lèvres alors que je l’avais enfouie et oublié !
Et puis ce livre est un livre sur la transmission, un lien intime avec un père dont elle ouvre le livre de sa vie, page par page, à travers ses carnets de jeunesse, avec une grande sensibilité.
C’est un lien insubmersible et un hommage à cet homme qui lui a donné la vie.
Longue vie à ce livre.
Paris le 21 septembre 24.
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